Chronique de la campagne

Je suis parti vivre à la campagne dans une petite ville de la Creuse où je ne connaissais
personne. J’y avais trouvé un travail qui m’ennuyait un peu mais ce qui comptait
alors, c’était d’avoir quitté Paris.
Dès mon arrivée, j’ai photographié. J’ai pris des paysages où j’avais momentanément
l’impression de retrouver quelque chose de familier, d’étrange ou de simplement différent.
Oscillant tous les jours entre l’envie de partir et le refus de la fuite, ces photographies
m’apportaient dans cet inconfort un peu d’équilibre.
J’ai exposé ces premières photos à l’office de tourisme local. C’est le regard des
autres sur mes photographies qui m’a permis d’habiter vraiment là. Certaines personnes
m’ont à leur tour parlé de leurs lieux. Je les ai fait miens en les photographiant,
cherchant au fil des ans à connaître la place des autres.
Je travaillais, emmenais mes enfants à l’école, allais chez des amis et quand je pouvais,
revenais en certains lieux prendre une photographie. Il me fallait avoir pratiqué
plusieurs fois le lieu pour qu’alors je décide d’en conserver une image, somme de
plusieurs moments.
Je savais que je partirais un jour mais je ne savais pas quand.
J’ai parfois eu la sensation de ne plus savoir quoi photographier, qu’à force de voir les
mêmes choses tous les jours je ne les regardais plus, qu’elles ne le méritaient plus.
Alors j’ai accepté de ne pas choisir l’objet de la photographie. Puisque il s’imposait à
moi, je devais apprendre à le regarder, et par la photographie le reconnaître, du mieux
que je pouvais.
Aujourd’hui j’habite à nouveau dans une ville. Je reprends ces onze années de photos
de la campagne, décloisonnant les différentes séries comme autant de chroniques. Je
fabrique ma mémoire, cherchant à raconter en image cette histoire.